Portrait: Marie Martinod et Ophélie David

PORTRAIT CROISE : MARIE ET OFE, DEUX DAMES DE COEUR HORS NORME.
Texte et photos: Sandra Stavo-Debauge.

 


C’était en mars 2015 à l’Alpe d’Huez, Ophélie invitait son amie Marie à domicile. Au programme, snowpark, big air bag, descente de Sarenne, motoneige, spa et BBQ. 48h que j’ai partagées avec les deux athlètes iconoclastes qui se sont livrées avec la générosité qui les caractérise. Une belle rencontre avec de belles personnes.

 

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Ophélie et Marie réunies autour d’un café chez Ofé à l’Alpe d’Huez.

 


Le palmarès d’Ophélie David et de Marie Martinod est aussi long que le transsibérien. On ne s’attardera pourtant pas sur leurs résultats, ni sur leur actualité, la vie est ailleurs. « Marie comme moi on ne met pas de masque, on ne joue pas de rôle, même quand il y a un micro », annonce Ophélie. On va voir ça !

Avec sa gouaille et son énergie débordante, Marie nous fait penser à un titi parisien. Quant à Ophélie, elle porte l’élégance en elle ; dans sa façon de s’exprimer, de se mouvoir, dans son être. Elles ont 8 ans d’écart, à peu près autant de centimètres, mais beaucoup en commun. Elles se sont d’abord mutuellement respectées avant de se lier d’amitié.

 

Une histoire d’amitié.

« Je la suivais via les magazines et je me disais qu’elle avait un sacré tempérament  », se souvient Ofé. « Ofé c’est mon idole ! Je la regardais un peu comme celle qui ne lâche rien. Elle a dû monter sa structure toute seule et je nous trouve des points communs de ténacité, je ne suis pas seule à m’accrocher à un truc un peu fou », avoue Marie qui ajoute « on était dans le même avion au retour de Socchi, moi avec ma médaille, les cendres de ma pote Sarah (nldr : Burke), je suis au-dessus de mon corps tellement je suis heureuse. Ofé A beau être passée à côté de la médaille, on a tchatché tout le voyage, je l’ai trouvé si disponible, déjà dans l’analyse, la zen attitude. Tu avais sûrement un peu les grumeaux et des trucs à digérer, mais tu étais déjà tournée vers la suite et tu m’as même glissée ‘‘je vais refaire au moins deux saisons’’. T’es trop mon idole ! ». On profite de cette anecdote pour leur demander ce qu’elles admirent l’une chez l’autre.

 

On s’est connu, on s’est reconnu…

« J’aime les mots justes d’Ophélie, la bonne intention. Elle est hyper centrée, jamais ni dans l’arrogance, ni dans le mépris. Elle est sereine, élégante même dans son ski, féline, solaire, impressionnante. Moi qui capte un peu les énergies, je la trouve rayonnante, ça fait du bien d’avoir des sportifs comme elle », s’emballe Marie, on ne la contredit pas car c’est bien ce que dégage Ophélie. Elle ajoute, « elle n’est pas juste posée, elle est aussi fun, rigolote. Ce portrait croisé avec Ofé, c’est un rêve de gamine qui se réalise ! ». Vive d’esprit Ophélie a de l’humour à revendre et porte un regard bienveillant sur Marie, « elle est authentique, entière, généreuse dans la vie et dans son ride, des valeurs sacrées pour moi, mais des qualités qui se perdent tant il faut être politiquement correct, faire attention à ce qu’on dit, à l’image qu’on renvoie, être bien lisse, bien vu. Marie elle n’en a rien à battre, et ça, j’adore ». « Tu es comme ça aussi », répond Marie.

Ces deux championnes hétérodoxes ont pour autre point commun d’être les deux seules mamans du circuit.

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Ophélie et Marie complices pour la séance photo en haut des pistes.
Les deux seules mamans du circuit.

« Malgré notre écart d’âge, j’ai l’impression d’être bien plus de la génération et en phase avec Ofé », avoue Marie. « On a un parallèle pour gérer notre carrière sportive. Marie a galéré pour trouver des sponsors, c’est aussi mon quotidien. Et on est toutes les deux mamans, c’est pas pour le mettre systématiquement en avant, mais à un moment ta vie bascule un petit peu ! », dit Ophélie avec malice. « La tienne a largement le double de la mienne », répond Marie. « Largement car Lilou va sur ses 16 ans, et toi ? », questionne Ofé. « Mélirose va sur ses 5 ans et demi », répond Marie, « mais elle connaît déjà tous les tricks (rires) ! », embraie Ofé. « J’avoue ! C’est normal, elle est tout le temps avec nous ». En effet, Marie se déplace en famille sur les compètes ; « Max (son mari) fait l’école à Mélirose le matin et assure toute l’intendance ». Ophé est loin de chez elle 6 mois par an, « nos compagnons sont obligés d’adhérer et si tu n’as pas ce soutien familial, c’est très compliqué. J’en suis à ma 13ème année en coupe du monde, Lilou était toute petite quand je suis partie sur le tour, Philippe travaillait et ne pouvait pas venir avec moi. Je ne me sentais pas non plus de partir seule avec Lilou parce que j’ai vu trop de gens partir en barquettes et je ne voulais pas voir l’anxiété dans les yeux de ma fille. J’ai donc préféré qu’elle ne vienne pas sur les courses. Depuis 2 ans, je la sens suffisamment solide ».

Marie a arrêté sa carrière au top pour revenir au sommet, Ophélie est l’une des athlètes à la plus longue longévité, qu’est-ce qui les fait courir et tenir ?

 

Marie est revenue après une pause salvatrice…

« Le ski m’a fait grandir, j’ai appris à gérer seule ma vie depuis mes 16 ans. Mais à force de faire les mêmes saisons les unes après les autres, je ne m’épanouissais plus, j’ai eu envie d’air. Cette pause salvatrice m’a permis de découvrir plein d’autres choses, d’être capable d’exister sans être une skieuse » confie Marie. « C’est un monde d’apparences, c’est pas évident d’en sortir quand t’as été baignée dedans jeune », pense Ofé. « J’aurais pu mal le vivre mais je suis tombée sur Max qui m’a permis d’apprécier les choses d’à côté sans me poser trop de question. Je n’avais aucun regret, c’était derrière moi. Je tenais un bar, c’était beaucoup de travail, je ne skiais même quasiment plus. Sans compter mon accident de voiture en 2010 qui m’a fait passer un hiver en centre de rééducation. Eh puis je suis devenue maman et plus rien d’autre n’existait ! Vivre des choses simples a été une bouffée d’oxygène. Ce que les gens apprécient chez moi aujourd’hui, je l’ai puisé dans cette vie-là, bien plus que dans ma 1ère vie de skieuse ». On est alors en droit de se demander ce qui a motivé Marie à revenir au ski ? « Virginie Faivre, la marraine de ma fille m’a dit ‘’le halfpipe devient discipline des JO, tu as 2 ans pour te préparer, c’est faisable : ton run d’il y a 5 ans rentrerait en finale aujourd’hui, ce serait dommage de ne pas tenter’’. Sarah (Burke) m’a dit la même chose, en rentrant d’une coupe du monde, elle est ‘’officiellement’’ passée voir ma fille qui avait 3 mois et me glissait des messages subliminaux ‘’vas y reviens’’, si bien que j’ai fini par lui dire, mais quoi tu veux de la concurrence ? L’année d’après je gagne le tour SFR, alors j’ai enchaîné ! J’avais 27 ans, un physique à refaire, tu ne reviens plus comme ça. Personne ne voulait y croire, à part ma mère! Et puis il a fallu trouver 40 000 € pour faire le circuit de coupe du monde, pas simple… ». Il faut donc avoir l’âme d’une entrepreneuse pour trouver des financements comme Ophélie qui a dû monter sa propre structure il y a 7 ans à l’issue des Jeux de Vancouver -elle s’entraîne en marge de l’Equipe de France-.

 

happy-women-mountains-femmes-montagne-athlète-ski-skieuse-neige-championneOphélie court toujours au plus haut niveau après 14 saisons !

« Il me semble que la plus vieille après moi a 28 ans, la plus jeune a 2 ans de plus que Lilou. J’ai une affection particulière pour elle, je lui demande si elle écoute aussi les One Direction, ça nous fait un super terrain pour discuter tu vois ! (rires). Ce qui me fait tenir, c’est très bête en fait : physiquement j’aime les sensations, la vitesse -on évolue à peu près entre 80 et 90 kmh-, les sensations aériennes, les mouvements de terrain, c’est un peu un grand 8 ! Intellectuellement, ça m’apporte beaucoup aussi parce que je ne suis pas quelqu’un de très agressif mais par contre le fait d’être en confrontation directe avec d’autres personnes me pique et me pousse à me dépasser car il y a quand même une part de fighteuse en moi que cette situation me pousse à aller chercher. Je me lance des défis, j’ai besoin de ça. Je ne suis pas quelqu’un de très confiant, donc ça m’aide. J’ai besoin de me sortir de ma zone de confort assez régulièrement sinon je tourne en rond et je me déprécie, j’ai besoin de ce mouvement vers l’avant et le skicross répond à ça. J’aime ce jeu-là avec les autres et avec moi-même et en plus en bonus il y a les sensations physiques qui me plaisent. Tant que le physique tient, tant que les résultats sont là, tant que l’envie est là, les 3 ingrédients essentiels y sont. C’est vrai que je deviens hors norme, une sorte d’ovni, je défie les statistiques, et ça me plaît bien ! Il n’y a rien de plus chiant que de mettre les gens dans des cases ». Marie applaudit, « tant que le fait de me dépasser ou d’apprendre une nouvelle figure ne me met pas dans un état de panique, je me dis que je suis encore faite pour faire ça. Je fais autre chose à côté, comme l’événement Air Ladies dont je suis le moteur mais qui n’engage pas que moi et qui est pour une bonne cause, tu te sens utile ». Air Ladies à Tignes pour Marie, Ofé X Days pour Ophélie… « C’est la phase 2 d’une carrière. Au début on est obligé de se construire, de se faire une image et une aura pour justement derrière pouvoir partager et drainer de l’énergie, des expériences » dixit Ophélie.

 

Des filles sans langue de bois.

Porte-paroles de leurs disciplines respectives, elles font du bien à leur sport et n’hésitent pas à dénoncer les incohérences d’un milieu avec tact mais sans langue de bois. « Je rêverais qu’on place les sportifs et l’avenir du sport au centre du débat et donc des décisions. Dans l’équation l’élément malléable, c’est le sportif et l‘élément méprisable c’est le sport, on prend donc le truc à l’envers et on arrive à des politiques sportives aberrantes. Quel messages et signaux sont envoyés aux jeunes ? On se retrouve aujourd’hui avec un abandon de la discipline ski dans toutes ses versions. On voit ça avec Marie et on ne peut pas se taire », constate Ophélie. « Sauf que tu es seule face à un système », relève Marie.

Frondeuses les filles ? « Ce n’est pas mon tempérament, mais j’essaie d’avoir une ligne de conduite et de m’y tenir. Quand des choses me paraissent aberrantes, je le dis et je mets un point d’honneur à le dire aux personnes concernées. Il faut du courage, c’est une attitude qui se paie, mais ça n’est pas grave car il y a une dimension humaine. Or pour arriver à des résultats sportifs sur la durée, il faut trouver un équilibre pour que l’athlète et la personne que tu es soient en bonne cohabitation. Quand du côté de la vie sportive il y a des couacs ou des choses qui heurtent trop le citoyen, l’homme ou la femme que tu es, il faut en parler et le mettre à plat, sinon ça fait des petites tumeurs, c’est pas bon », pense Ophélie dont l’esprit critique vient de son enfance. «Nous avons beaucoup déménagé, j’ai donc souvent changé d’école, passant d’une méthode d’enseignement à une autre, ce qui fait que même inconsciemment tu les compares, donc oui, ça rend critique. Mon enfance nomade m’a également appris à m’adapter, à lister l’essentiel et me rendre compte que l’essentiel c’est finalement pas grand chose et que beaucoup de choses annexes sont parasites, ça t’apprend à te recentrer ». Cet enseignement, elle en a fait une philosophie de vie.

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Une philosophie de vie.

Quant à Marie, elle aspire à vivre l’instant présent, « je n’y arrive pas totalement, mais c’est une philosophie qui me plaît parce que j’avais tendance à beaucoup me projeter dans le futur et à me dire ‘’quand j’aurais-ci, quand je ferais-ça’’, tu en oublies d’apprécier le moment présent, les petites choses de la vie toutes simples. Si t’oublies de vivre ça, tu survoles ta vie ». Ophélie aussi travaille sur le moment présent, « j’essaie de cultiver le ici et maintenant parce que j’ai une tendance rêveuse, mon esprit part facilement sur qu’est ce qu’on fait demain ? ».

Outre le ski, Ofé et Marie ont de nombreux centres d’intérêts.

 

Sports outdoor, rallye, musique, littérature, plantes, séries…

« Je suis assez paysanne dans le sens où j’aime être dehors : vélo, escalade, planche à voile, paddle, surf, ski sous toutes ses formes, canyoning. J’aime grimper dans les arbres, sauter des cailloux, remonter les courants, glisser, un peu comme les singes ! J’aime bien bouquiner aussi, Philippe Djian est un de mes auteurs préférés. J’aime quand l’écrivain prend une personne ordinaire et nous montre à quel point elle est extraordinaire. Eh puis j’aime bien la bonne bouffe, mais je cuisine comme un pied » confie Ophélie. Quant à Marie, elle est mélomane, fan de bagnoles et de plantes ! « La musique fait partie intégrante de ma vie et je trouve que l’ouïe est un des sens qu’on régale le moins, alors que c’est fou de ressentir des trucs par la musique. J’ai des albums que je vais mettre en boucle, une des dernières révélations c’est celui de Christine and the Queens : nourrissant, différent, émerveillant ! Je ne peux plus jouer de violon car je n’ai plus de dissociation des doigts suite à mon accident de voiture, alors je m’épanouis autrement : je kiffe les plantes, j’en ai partout et je suis devenue esclave de mon jardin ! ». Férue d’histoire, Marie est aussi une série addict : « j’aime les séries anglaises, l’humour anglais bien décalé. Et puis j’aime bien leur façon de ne pas faire le focus sur un seul personnage, comme dans Game of Trone ».

On en vient à parler de leurs rêves…

 

Rêves qui ne resteront pas en l’état de songe.

«  Le poing de la quarantaine tape à la porte et je sens qu’il va y avoir plein de changements. Des trucs qui seraient censés te faire un peu flipper, mais je suis sereine, j’ai une conviction interne qui me dit que ça va bien se passer, et j’ai même de la curiosité. En rêve complètement dingue et peut-être même irréalisable, j’aimerais qu’avec Lilou on parte d’Ushuaïa pour remonter jusqu’en Alaska en moto », confie Ophélie ce qui fait réagir Marie, « là elle m’a sciée ! Mon rêve est plus terre à terre, j’ai acheté un bout de champ au-dessus de chez moi et j’ai trop envie de faire construire ma maison dessus, de me dire qu’on s’est ancré avec Max ». Pour Ophé, « mes ancres, je les ai, une fois que tu as ton camp de base, tu as envie de repartir et je rêve de vivre une aventure mère-fille. L’étape 1 c’est le permis moto, l’étape 2 apprendre à faire de la mécanique, après on verra en route ! »

Keep on riding les filles !

 


Ophélie DAVID:

40 ans, vice-championne du monde de skicross en février 2015, dix ans après sa première médaille de bronze, en Finlande, la skieuse de l’Alpe D’huez équipée par Salomon détient le plus gros palmarès de la discipline dont un titre de championne du monde, 4 médailles d’or aux X Games. C’est une skieuse complète !

 


Marie MARTINOD:

Née à Bourg Saint Maurice, 32 ans, vainqueur des X Games de Tignes en 2013 et vice-championne olympique de halfpipe à Socchi en 2014, est équipée par La Fabrique du Ski. Adepte de rallye, elle a remis le couvert en automne 2015 et avait pour nouveau défi de participer au Rallye du Mont-Blanc.

www.mariemartinod.com

 


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